Pour savoir pourquoi nous ignorons tant de choses sur Vénus, il convient de mettre les choses en perspective. Depuis l’aube de l’humanité, nous étudions notre environnement chaque jour de façon plus poussée. On pourrait croire qu’aujourd’hui on sait tout de la climatologie ou de la géologie de notre propre planète, mais il n’en est rien. Les limites infinies de la science poussent des milliers de chercheurs a utiliser les outils les plus sophistiqués aux quatre coins du monde et en orbite pour en découvrir toujours plus sur notre planète. Il parait donc illusoire de vouloir comprendre une planète aussi grande que la Terre avec une atmosphère 100 fois plus massive avec seulement 30 ans d’observations orbitales cumulées et une dizaine d’heures en surface.

Jason 3 est qu’un des nombreux exemples de satellites qui aujourd’hui encore nous permet de mieux comprendre notre planète (source)

De plus, contrairement à la déesse qui lui a donné son nom, Vénus est une planète particulièrement pudique et oppose 4 barrières majeures à sa comprehension.

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La première barrière est la couche de nuages qui a caché la surface jusqu’à ce que l’imagerie radar la perce. Elle est opaque au visible, à l’ultraviolet et à l’infrarouge. Chacune de ces fréquences butant sur une couche différente, on peut les utiliser pour y suivre les mouvements atmosphériques. Cependant certaines couches profondes sont masquées par les couches supérieures et demeurent peu documentées. Seules les ondes radar parviennent à traverser toutes les couches nuageuses et à dresser une carte du relief. Si l’on souhaite étudier la surface sous une autre fréquence, il faut placer des capteurs sur une plateforme atmosphérique évoluant sous les nuages, ce qui n’a encore jamais été fait.

La plupart des instruments d’imagerie (ici celles de Galileo) ne parviennent pas a percer les nuages de Vénus (source)

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La deuxième barrière est provoquée par les conditions dantesques qui règnent à la surface. Avec une pression susceptible d’écraser un sous-marin nucléaire et une température suffisante pour faire fondre du plomb, aucune sonde n’a tenu plus de 2h et 7min. Même si un bon blindage peut supporter la pression, la densité de l’air qu’elle provoque, combinée aux 500°C de surface crée un flux thermique qui pénètre dans la sonde. Ce flux est si important qu’il faut limiter le nombre d’ouvertures, hublots ou antennes qui travers les couches d’isolation. De plus, même si l’isolation était parfaite, il n’y aurait pas moyen d’évacuer la chaleur produite par les moteurs, ordinateurs et instruments qui fonctionnent à l’intérieur même de la sonde. Dans ces conditions, la température à l’intérieur va augmenter peu à peu jusqu’à ce qu’elle soit insoutenable pour les équipements. Une solution envisagée serait de développer des équipements électroniques capables de tenir à 500°c ou de les remplacer par des ordinateurs mécaniques mais cela est loin d’être au point.

Projet de Rover n’utilisant pas d’électronique qui ne survivrait pas en surface (source)

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La troisième barrière est le jeune âge de la croûte. En effet, on estime l’âge de la surface d’un astre solide au nombre de cratères. Or, sur Vénus, on n’observe qu’un millier d’impacts larges et ne présentant pas de traces d’effacement, ce qui permet d’estimer que la totalité de la surface a environ 500 millions d’années. Cela signifie que les traces chimiques, géomorphiques, voire (rêvons un peu) biologiques des premiers milliards d’années de la planète ont probablement été perdues. Or sur Vénus, nous cherchons surtout à comprendre comment elle a évolué si différemment de la Terre. Le fait de ne pas avoir de traces directes de la formation de la planète est une grande perte. Nous devons nous contenter d’étudier les terrains les plus anciens, les tesseras, et déduire l’état passé grâce à l’évolution récente.

La carte de Vénus dresseé par Magellan , dont voici un rendu 3D, a permis d’estimer l’âge de la croûte de Vénus (source)

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La carte ci-dessous représente la répartition des sites de poser des atterrisseurs soviétique Venera et Vega. On remarque que toutes les missions Venera se sont posé à proximité de Phoebe regio. Cela n’est pas dû au hasard ou à un intérêt scientifique particulier mais a un ensemble de caractéristique de Vénus et de nos technologies qui rende difficile l’accès à d’autre régions pour une sonde venu de la Terre et qui forme la quatrième barrière

Sites de posée des sondes venera/vega (source)

Premièrement, afin de réduire le DeltaV nécessaire à la mission et donc optimiser la charge utile de la mission, on a tendance à utiliser des transferts proches des transferts de hohmann entre les deux planètes. Ce transfert implique qu’une sonde envoyée depuis la Terre rattrapera Vénus « par-derrière » (du point de vue de son avancement autour du soleil) et donc un passage au périastre situé proche du « point avant » de la planète. En pratique, avec un transfert de hohman depuis la Terre et avec un rayon au périastre proche du rayon de la planète, le périastre est à environ 28° du « point avant ». 

Deuxièmement, Au vu de nos technologies actuelles, les boucliers thermiques ont une limite d’énergie à disperser qui dépend de la vitesse et de l’angle d’entrée. Un angle de 25° est souvent considéré comme la limite pour une sonde importante (type venera) car lui ferait subir une décélération de l’ordre de 200 g. Pour atteindre une telle valeur d’angle d’entrée, le rayon au périastre doit être proche du rayon planétaire et l’entrée atmosphérique se faire à environ 18° du passage au périastre. La somme d’angles du périastre et du point d’entrée dans l’atmosphère fait que la sonde ne peut pas se poser que dans un disque de 40° (4200km) autour du « point avant » (en réalité moins car la sonde ne tombe pas sous son point d’entrée). Un autre problème est que ce disque est sur la face cachée de Vénus vue de la Terre au moment du posé ce qui oblige à utiliser un relais de communication (souvent le vaisseau qui portait la sonde). 

Troisièmement, la durée d’un SOL (jours solaires) sur Vénus étant synchronisé avec la période synodique Terre-Vénus, Vénus nous présente toujours la même face (centrée sur alpha regio) à chaque conjonction. De plus, le transfert de hohmann implique une date d’arrivée fixe après la conjonction donc Vénus aura tourné du même angle d’une fenêtre de tir à l’autre. Ces deux éléments combinés font qu’a chaque fenêtre de tir, le « point avant » sera le même près de Phoebe regio et ne permet donc pas de varier de cible au fil du temps. Cela est vrai pour une trajectoire de hohmannn parfaite, mais il est possible de se déplacer que quelques heures à quelques jours à l’intérieur de la fenêtre de tir pour un coût en DeltaV faible. Sur un astre en rotation rapide comme la Terre ou Mars, à chaque rotation (24 h) tous les points de l’équateur deviennent successivement le « point avant ». Une variation d’une dizaine d’heures permet d’atteindre l’autre côté de la planète. Mais sur Vénus, la rotation est extrêmement lente, donc un décalage d’une journée le fait varier le point de chute de seulement 300 km et un décalage de plus d’une semaine demanderait un important cout en Dv. 

Il y a diverses solutions pour atteindre d’autres points mais elles ont toutes un « coût » sous une forme ou une autre. Il est par exemple possible de dévier de l’orbite de hohmann, comme l’ont fait les sondes Vega (à destination de la comète de Halley) mais demandent un Dv et souvent une vitesse d’entrée plus importante. On peut aussi envisager des entrées atmosphériques plus agressives mais cela n’est pour l’instant techniquement possible que pour de petites sondes résistantes comme la sonde nord de pioneer venus multiprobe qui a pénétré l’atmosphère à près de 70° subissant une décélération d’environ 450 g. Pour finir il est possible après un transfert de Hohman, d’utiliser l’assistance gravitationnelle de Vénus pour se placer sur une orbite de résonance qui permet un posé au cours d’un second passage. Cette solution, adopté par la mission Da Vinci+, ajoute donc une orbite d’environ 220 jours au temps de transit vers Vénus mais permet d’atteindre plus de points de la planète avec des paramètres de rentrée acceptable. 

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